18 juin 1940 : Le combat d’Aïssey
Cet article a été rédigé par Cédric GAULARD

     
 

Le 17 juin, la 4ème section du Sous-lieutenant Pecoul est installée à l’extrémité sud du village et à gauche de la route de Besançon dans une grange pleine de paille, mise admirablement à leur disposition. A 23 heures 30 le Sergent Cavaille, de retour de patrouille signale que tout est calme. Le Sous-lieutenant va immédiatement rendre compte au commandant de compagnie qui lui confirme l’heure de départ et lui demande de ne pas réveiller les hommes avant 1h. L’entretien dure une dizaine de minutes, lorsque tout à coup, les deux hommes entendent dans la nuit des bruits de moteurs, suivis de coups de feu. Il est à peu près minuit. Les allemands viennent de surprendre la 4ème section. Le Sous-lieutenant quitte précipitamment le capitaine. Accompagné du soldat Prullières, son agent de liaison, il part en direction de la grange distante d’environ 200 mètres. Toute la section surprise a été faite prisonnière, à l'exception de 6 hommes qui ont pu fuir avec deux Fusils Mitrailleurs. L’officier place les hommes de chaque côté de la route et fait ouvrir le feu immédiatement. L’assaillant fait partie du groupe Guderian de la 29ème Division Motorisée.

Cette riposte efficace permet aux sections voisines de se retirer de leurs granges et d’aller prendre position plus loin. Les allemands sont stoppés dans cette attaque frontale. Mais les positions françaises sont immédiatement prises sous le feu nourrit des mortiers. Très rapidement il n’est plus possible aux 6 hommes de la 4ème section de tenir cet endroit, d’autant plus que plusieurs granges sont en feu et éclairent toute la route. Le Sous-lieutenant donne alors l’ordre de se porter un peu plus en arrière, à une vingtaine de mètres, là où se trouve une barricade construite dans le but d’arrêter ou plutôt de retarder l’avance des colonnes motorisées ennemies. (Une de ces nombreuses barricades que tous les combattants ont pu voir dans les villages qu’ils ont traversés). Là, un F.M. est placé dans une maison au sous-sol et l’autre sur un terre-plein qui domine la route. Une section de mitrailleuses occupe également la barricade. De ces deux feux, on peut arroser toute la route et interdire ainsi l’accès au village.
La rapidité de la riposte permet au bataillon de prendre position non sans grande confusion. Les 2ème et 3ème Compagnie ne disposent pas de mitrailleuses alors que 3 sections de mitrailleurs se trouvent resserrées entre la route et le coteau, en position précaire et sans voltigeurs. La 2ème Compagnie s’installe aux issues Nord-Ouest et Nord du village. La 3ème se déploie dans le secteur du cimetière et met en action son mortier de 60. La section d’engins, commandée par l’Aspirant Blaquière est proche du P.C. derrière l’église et ouvre le feu avec ses canons de 81. Ce singulier dispositif résulte certes de la soudaineté d’une attaque à laquelle on ne s’attend pas, mais aussi de l’insuffisance des reconnaissances effectuées à l’arrivée dans le village.
Il est important de souligné qu’il ne sera pratiquement pas changé, si ce n’est en ce qui concerne deux ou trois sections. Les lieutenants n’ont nullement été informés par les commandants de compagnies de l’articulation des sections. La quasi-totalité des chefs de sections restent livrés à eux-mêmes, sans ordre de leur compagnie ou du bataillon et ignorent à peu près tout de leurs voisins. Ce combat de rencontre qui a probablement surpris les allemands autant que les français se ramènent à la résistance opiniâtre de quelques sections ou groupes bien commandés. En effet, il est contraire à la vérité de nier que plusieurs dizaines d’hommes resteront passifs, terrés dans des abris de fortune ; beaucoup ayant d’ailleurs l’excuse d’avoir vu disparaître leurs chefs. On n’en apprécie que mieux l’attitude héroïque de nombre de leurs camarades rivés à leur F.M. ou leur mitrailleuse.

L’adversaire, dont les moyens se renforcent à vue d’œil, arrose copieusement les positions, disposant d’un nombre élevé d’obusiers légers, mais aussi de batteries de 77-150 installées à Cotebrune. Ces tirs sont pratiquement ininterrompus, entraînant la destruction et l’incendie des bâtiments. Le Sergent observateur a à peine le temps de dévaler l’escalier avant que le clocher de l’église ne s’effondre. Un essai d’infiltration d’infanterie entre la route et les hauteurs boisées à l’Est est repoussé ; il n’y en aura pas d’autre. Mais les sections situées sur la gauche ne cessent pas d’être harcelées à l’arme automatique et pilonnées durement. Chaque attaque ennemie paraît être le fait d’une compagnie déployant 2 ou 3 sections qui tentent l’assaut après de violents tirs sur l’objectif. S’il y a échec, les bombardements reprennent.
A la 3ème Section de mitrailleurs, l’Aspirant Campagnolles est tué.
A la 4ème Section de mitrailleurs, le Sergent Arquie est tué, sa pièce est inutilisable, et ses servants blessés.
A la 3ème Compagnie, l’Aspirant Lagoutte, blessé dès le début, est remplacé par le Chef Balmigère qui le sera à son tour.
Vers 4 heures 00, léger répit. Le Commandant envoie la section Carbonnie (3ème Compagnie) à l’Est de la route, au pied du coteau du bois de Bouvassot. Un peu plus tard, le Capitaine Vigneau la renforce d’une mitrailleuse. Repérée lors de son installation, la section déplore deux morts, plusieurs blessés, dont le Lieutenant commotionné.

Vers 5 heures 00, le Commandant à l’impression que l’effort ennemi pourrait se transporter sur sa droite. De fait, dans le petit jour obscurci par les fumées des incendies, le Lieutenant Marquie a distingué des silhouettes qui se glissent à l’Ouest du village, sans pouvoir les atteindre. A l’extrémité droite, l’Aspirant Montagne (3ème Compagnie) est tué ; sa section amorce un repli. Mais au centre, le Sergent Perroua se maintient au cimetière, malgré les pertes en blessés. Un avion ennemi survole les postions. Le Poste de Secours installé à la sortie nord du village (maison Barbier), par les médecins Saint Beat et Baylac n’échappe pas aux coups. On y panse les blessés à la lueur de 2 bougies ; mais il y a de l’eau. Sur la barricade, le Sergent Corbières, avec sang-froid, évacue ses 3 servants blessés, démonte la pièce et se met à la disposition de la 4ème Section de mitrailleurs. A nouveau l’ennemi tente de prendre la barricade, à revers cette fois, par l’arrière des maisons. Disposant de 50 grenades défensives récupérées sur une chenillette, les défenseurs le stoppent à quelques mètres, lui causant des pertes. Mais la 4ème Section de mitrailleurs déplore la mort de deux servants et plusieurs blessés.
Vers 8 heures 00, le Capitaine Midenet improvise une batterie de mortiers (deux de 81 et deux de 60) très efficaces.

Les liaisons tentées par un motocycliste vers Landresse à l’effet de réclamer de l’aide reste sans suite. Le ravitaillement en munitions commence à poser problème.
A l’Est, la section Poujade se replie et passe en retrait de la section Carbonnie. La 2ème Section paraît faiblir et reflue en désordre.
10 heures 00, la barricade n’a plus de munitions ; le réduit où se trouvait encore une dizaine de combattant brûle à son tour. Le Lieutenant Marquie donne l’ordre de décrocher vers la crête du bois Bouvassot. Les points d’appuis de gauche se trouver entraînés dans ce repli avec trois sections.
Atteindre le plateau à travers bois, par une rude montée, s’effectue sous une avalanche de tirs d’armes automatiques, de mines, et d’obus qui causent des pertes et dispersent les unités.
Depuis minuit, 10 heures durant, un combat acharné, une véritable pluie de mitrailles et d’obus se déversant sur les hommes du 1er bataillon du 220ème R.I., entourés de flammes. Le chef de bataillon Capdepont donne l’ordre de tenir sur place. Le rapport de force est de 4 contre 1.
A 11 heures 00, environ 50 soldats se regroupent hors des feux ennemis, avec les Lieutenants Carbonnie, Marquie, Poujade, les Aspirants Chiffre et Dubor. Les soldats ont dans l’ensemble leur armement individuel, mais les F.M manquent. Seul le Caporal Roy a le sien, avec quelques chargeurs. Après concertation, le Lieutenant Carbonnie ayant pris le commandement, il est décidé de rester groupés pour tenter, au mieux de traverser les lignes allemandes, à défaut de passer en Suisse, en suivant au plus près la frontière. Evitant les villages où l’on discerne partout l’ennemi, empêtrés sans une seule cisaille aux clôtures à vaches, ils sont refoulés par des fermiers terrorisés, Tandis que le canon gronde vers Pierrefontaine les Varans, ces hommes démoralisés, exténués, mettent la nuit à profit pour lâcher leurs armes. Ce n’est plus une troupe, mais les cadres se refusent à l’abandonner à son sort.
Le 19 juin, a 11 h 00, lors d’une tentative de passage de route en terrain découvert, le détachement est capturé par les allemands, internés à l’église de Landresse, puis acheminés à pied à la caserne RUTY à Besançon le 21.

Pendant ce temps, le Lieutenant Reglat passe en Suisse le 21 juin à Damvant avec six hommes, tandis que le Sous-Lieutenant Pécoul gagne avec quelques soldats le dépôt 173 à Pamiers, avec les difficultés que l’on imagine.
Fermant le point d’appui au nord d’Aïssey, la 2ème Compagnie subit elle aussi de durs bombardements. Blessé d’un éclat d’obus, l’Aspirant Castagnié, évacué le lendemain seulement, décède à l’hôpital le 20 juin. Cette compagnie est attaquée directement lors des dernières heures de combat. On ne connaît que peu de détails sur son comportement.
Il convient de dire que ces soldats ne diffèrent point de leurs camarades du bataillon ; ils ont eux aussi fait leur devoir. Mais force est de reconnaître que cette unité a plus ou moins manqué, sous ses deux chefs successifs, de la cohésion qui résulte d’un commandement convenablement exercé.
Il faut déplorer par ailleurs la mort du Sous-Lieutenant Breuil, survenue alors même que le commandant ordonne la reddition du bataillon.
En fin de matinée, celui-ci est réduit à 2 Compagnies, une demi-douzaine de mitrailleuses éparses, la section d’engins de la Compagnie Auto renforcée de deux canons, un de 25 et un de 47. L’assaillant doit interpréter le décrochage vers l’Est d’une partie des défenseurs comme un repli général. Ses bombardements s’étendent furieusement à tout le village. Sans toutefois utiliser ses chars, il pousse au centre et accentue son effort par l’Ouest. La résistance faiblit nettement.
Au PC, le commandant regroupe quelques officiers et soldats bien décidés à tenir. Mais alors qu’il fait feu depuis une fenêtre, le commandant Capdepont est grièvement blessé. Transporté au poste de secours, il est pansé par le Médecin Lieutenant Baylac.
Vers 11 h, il décide donc du cessez-le-feu, sans négociations. Instant terriblement émouvant que celui-là, où un linge blanc est brandi. C’est lors de ces ultimes moments que Decon et Gauran se trouve cernés ; ce dernier prend peur, s’enfuit. On lui tire dessus, puis on l’achève.

Un Major allemand félicite le Commandant pour la résistance qui lui a été opposée 11 heures durant. Pressé de poursuivre sa progression interrompue vers Pont de Roide, l’ennemi rassemble environ 500 hommes dans le pré. Les médecins sont autorisés à soigner une vingtaine de blessés graves, avant de regagner le poste de secours où 45 blessés gisent à même le sol, quelques-uns à l’extérieur de la cave.
Tandis que les prisonniers de guerre sont dirigés vers la caserne Vauban (Besançon), les Allemands évacuent la plupart des blessés avec le Médecin Lieutenant Saint Beat vers l’hôpital Saint Jacques (Besançon).
Mais il reste sur place une dizaine de blessés en attente avec le Médecin Lieutenant Baylac.
Pour son premier et dernier combat, le 1er bataillon a fait son devoir, facilitant le passage en Suisse de nombreux camarades du 45ème Corps d’Armée et du Secteur Fortifié.
Les habitants qui se sont enfuis au cessez-le-feu, reviennent le 19 désespérés et furieux. Les incendies, les explosions cessent peu à peu. Le médecin a encore quelques blessés graves à soigner. Il charge le maire de l’enterrement des morts. Trente, soigneusement identifiés, sont ensevelis en fosse commune ; il est procédé à l’enfouissement de dizaine de chevaux et de vaches.
Un civil s’offre à transporter les blessés privés de soins convenables, mais aussi de tout ravitaillement à l’Abbaye de la Grace Dieu. Les trappistines aideront le Médecin Baylac à les traiter correctement. Le 26 juin, les Allemands les évacueront sur BESANCON.
Le 1er Bataillon du 220ème RI a rempli son devoir, les pertes subies en attestent : 30 morts dont 4 Officiers et 3 Sous-Officiers, une centaine de blessés. Le village d’Aïssey paye un lourd tribu dans cette bataille : une victime, Mme Estavoyer tuée accidentellement et 43 maisons sur 54 sont détruites ainsi que l’église.
La commune d’Aïssey a reçu la croix de guerre le 11 novembre 1948.
« Madame Madeleine Maire avait 8 ans le 18 juin 1940. Elle se souvient qu'à minuit, son père a réveillé toute la famille (9 enfants) pour évacuer la maison et se réfugier dans la cave voutée de la maison voisine (Henri Barbier). Dans la précipitation, certains des enfants partirent pieds nus. L'un d'eux, pourtant, continuait à dormir à poings fermés, il fallut retourner le chercher.

On ne sortit des abris que le lendemain après-midi. Les allemands brulaient les maisons épargnées. Tout le monde se sauva dans les bois voisins ou l'on s'organisa pour passer la nuit. Madame Estavoyer fut tuée par une balle perdue en se sauvant. Madame Henri Barbier s'enfuit avec ses filles, ses nièces, sa mère et sa belle-mère qui avait des difficultés à se déplacer. Elle dut traverser la barricade située devant chez elle, et contourner un char allemand en flammes : elle y brula son tricot.

Madame Chappe dut s'enfuir avec sa fille âgée de 9 mois et qui avait la coqueluche...

Quand les allemands furent partis, on put revenir au village, mais tout était détruit. Il fallait évacuer les soldats morts ou blessés. Des chevaux tués gisaient dans les prés. Beaucoup de paysans avaient perdu une grande partie de leur bétail. »

« Témoignages des habitants d’Aïssey »

Un petit cimetière militaire fut créé pour inhumer les 30 soldats qui périrent le 18 juin 1940. Ce cimetière fut supprimé plus tard et les corps transférés au cimetière militaire de ROUGEMONT. Seul l’Aspirant GARDEY DE SOOS repose dans la nef latérale de la nouvelle église et une stèle sur le bord de la route qui traverse le village marque l’emplacement où il a trouvé la mort. Il fallut près de 15 ans pour reconstruire la totalité du village. L’école fut terminée en 1954 et l’église en 1957. La dernière maison reconstruite fut celle de la famille DESCHAMPS.

Plan du village d’Aïssey le 18 juin 1940
Liste des familles
-1 Grosjean -2 Cretin Elie -3 Darbon -4 Richard -5 Briot -6 Pagnier -7 Richard -8 Bel -9 Boillot et Morlet -10 Petot et Jeannerot -11 Petot -12 Boucard -13 Petot -14 Morel -15 Laithier -16 Cornuez -17 Barbier -18 Boucard -19 Fiche-Boucard -20 fontaine -21 Boillot -22 Cretin -23 Estavoyer -24 fromagerie et Mairie -25 Mathieu -26 Chevassut -27 Maison du fromager -28 Morlet -29 Cretin -30 Cretin -31 Moustache -32 Verdenet -33 Estavoyer -34 Roy et Richard -35 Cretin-Barbier -36 Roy -37 Deschamps -38 Colin -39 Bouveresse -40 Boillot -41 Morel -42 Pergaud -43 Boillot -44 école -45 presbytère.

 

 
Les maisons du village après les combats du 18 juin 1940.   Les maisons du village après les combats du 18 juin 1940.
 
Les maisons du village après les combats du 18 juin 1940.   Les maisons du village après les combats du 18 juin 1940.
 
Les maisons du village après les combats du 18 juin 1940.   La sépulture d’un soldat français tombé à Aïssey le 18 juin 1940.
     
 
     

Les photos suivantes sont des photos anciennes d'Aissey fournies par Monsieur Bourriot Julien

Dernière mise à jour du site en mars 2020 par Israël LORENTE